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- Alors pourquoi refuser le dessin et ne plus se consacrer qu'à cela au contraire ?
- Les variations de valeur me passionnent. De même que les variations de netteté. Le dessin ou la gravure, quelle que soit la technique employée, doivent
choisir une tranche de la réalité visuelle. Et ensuite s'y tenir de
façon cohérente. Le degré de netteté est choisi une fois pour toute
pour un élément. On peut y voir une réalité donnée. En infographie, on
peut résumer cela à la touche "seuil" sur laquelle on peut appliquer un
certain degré de flou.
Seulement, je me passionne beaucoup plus encore pour la
reproduction d'une perception de la réalité. C'est-à-dire d'une vue moins instantanée. D'une réalité plus
subjective pense-t-on de prime abord, par habitude. Seulement à y
regarder de plus près, ce n'est pas si évident.
On peut en tout cas prendre le parti que la réalité picturale
avec ses couleurs dépasse celle du dessin, de la photo par extension.
Ce qui déborde d'un soupçon le cadre de mon propos initial, mais c'est
bien de cela dont je parle, au fond.
Aussi rigoureusement scientifique que soi la reproduction, la
partialité est totale et la réalité par le fait trahie. Un exemple
facile à expérimenter pour les gens qui comme moi, ont la chance d'être
myope : regardez un visage de face, et analysez la forme et la largeur
du nez avec vos lunettes sur le nez. Retirez-les, et devant vos
yeux éblouis, vous verrez la forme radicalement changer ; la largeur
diminue de moitié par l'opération de l'ablation pure et simple des
ailes du nez. La longueur, elle, reste inchangée.
L'érosion de la perte des détails, si elle obéit à des lois simples,
affecte les formes plus étrangement qu'on le penserait. La réalité
visuelle d'un objet est beaucoup trop mouvante pour qu'un instantané
photographique puisse en témoigner absolument. Comme le dessin, ou le
scanner médical, la photo choisit une tranche de réalité et une seule.
La peinture par touches colorées, sans faire du
pointillisme, c'est bien d'elle dont je m'occupe, permet quant à elle
de présenter plusieurs réalités en une image. Le choix de couleurs
indépendant des valeurs permet de livrer simultanément plusieurs
"tranches". Mieux, elle permet d'en présenter des bribes, des morceaux
choisis, sans en exclure d'autres, au gré des réminiscences de
perception.
Nous découvrons alors, une infinité d'images
composables en une seule : une sur l'échelle classique des valeurs, et
puis une du vert au rouge, une autre du bleu au jaune, etc. Toutes
librement utilisables dès lors qu'on prend quelques distances par
rapport à leur conformité avec la nature. On peut même jouer avec leurs
résonances culturelles. Un monde de possibilités infinies est ouvert !
Différents points
de vue dans le temps pour dépeindre l'objet,
comme le cubisme le faisait dans l'espace, mais donc sans aucune déstructuration...
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